Pourquoi cette recherche?
Dans la préface de la deuxième réédition de « Paimpol au temps d’Islande » (Le Chasse-Marée / Armen, 1998), Jacques Guéguen écrit : « Jean Kerlévéo est tout à fait conscient de la nécessité de vérifier aujourd’hui certains points, comme le nombre des disparus à Islande par comptage systématique au lieu de l’estimation dont il a été obligé de se contenter à l’époque, aboutissant ainsi à des conclusions excessives. A d’autres donc de poursuivre, bien modestement, son œuvre, de continuer ses travaux, de les affiner et de les élargir ».
Quel nombre ?
Jean Kerlévéo avance 2000 hommes du pays de Paimpol péris en mer d’Islande entre 1852 et 1935. Il ajoute : « Presque la population de la ville de Paimpol » (« Paimpol au temps d’Islande », tome II, page 51).
Dans « L’épopée Islandaise », le regretté François Chappé (Editions de l’Albaron, 1990) insiste sur le taux élevé de mortalité, citant Jacques Dubois (« Le Jardinier des mers lointaines », Picollec, Paris, 1980) qui indique 3000 morts.
Christian Pfister-Langanay, professeur d’histoire moderne, a évoqué 1635 décès voire 1800 pour l’ensemble des ports de Binic, Dahouët, Erquy, Lannion, Paimpol, Portrieux et Tréguier (« La pêche en Islande », Editions Jean-Paul Gisserot, 2013). L’objectif de ces nouvelles recherches est de tenter d’approcher un chiffre plus précis.
Quelles sources ?
Il a semblé passionnant d’effectuer un recensement qui pourrait intéresser les descendants de ces héros Paimpolais. Les outils qui ont permis de les retrouver sont les tables de successions et absences : il s’agit de registres qui consignent, par ordre alphabétique, tous les décès du bureau d’enregistrement de Paimpol. Y sont inscrites toutes les personnes même celles qui sont mortes en bas âge ou ont vécu six minutes! Si elles laissaient quelques biens, même modestes, leur nature et l’identité des ayants droit sont stipulées avec la date et le numéro de la déclaration de succession qui se trouve dans un autre registre.
Ces tables classées en série 3Q ont été numérisées et sont accessibles sur le site internet des Archives départementales des Côtes-d’Armor. Elles mentionnent les nom et prénoms du défunt, sa profession, son âge, son adresse, la date de son décès, les nom et prénoms du conjoint.
Nos investigations, qui ont nécessité de nombreuses heures de travail, ont abouti à relever une base de 5170 noms de marins en activité, exerçant toutes les professions en lien avec la mer (mousse, cuisinier, maître au cabotage, capitaine…), domiciliés à
- Bréhat
- Kerfot
- Kérity
- Paimpol
- Ploubazlanec
- Plouézec
- Plounez
- Plourivo
- Yvias
et décédés hors de ces communes entre 1852 et 1935.
La liste définitive résulte de la consultation de plusieurs autres sources :
- L’état civil dans les différentes mairies. Leurs registres reproduisent la transcription des actes de décès ou du jugement du Tribunal Civil de première instance de Saint-Brieuc. Ces documents précieux et émouvants relatent les circonstances de la mort ou du naufrage.
- Les dossiers de pension des inscrits maritimes du Quartier de Paimpol
- Les registres matricules des marins
- Les matricules des bâtiments du commerce
- Les rôles d’équipage des goélettes
Merci aux collaborateurs de l’ENIM de Paimpol, en particulier à Madame Michèle Picard, responsable du groupe Archives, et du Service Historique de la Défense à Brest.
Quelle méthode ?
Il nous a fallu définir des critères pour établir cette liste. Nous exprimons notre immense gratitude aux historiens compétents quI nous ont aidés dans cette réflexion, Messieurs Jacques Guéguen et Claude Forrer, Capitaine au long cours. Ce dernier a proposé une définition des « Pertes à Islande » que nous avons adoptée. Avec www.marinsdislande.fr, nous faisons donc mémoire de toutes les disparitions survenues « pendant la campagne de Grande Pêche en Islande et dans les trajets aller et retour du port d’armement ou du port de départ de métropole à l’aller et au retour au même port s’il était le premier port français ou au premier port touché qu’il soit à l’ordre ou au déchargement. Les autres traversées y compris celles qui, destinées à l’approvisionnement du sel, considérées comme cabotage, ne relèvent pas directement de la « Pêche à Islande » (Pertes et accidents, le cas des pêcheurs de la baie de Saint-Brieuc, colloque à Fécamp, 18 mai 2012).
Plus clairement, les marins disparus des chasseurs qui transportent la première pêche et ceux des goélettes seulement lorsqu’elles livrent la seconde ne figurent pas sur ce site. Les chasseurs, dont l’équipage n’avait pas le droit de pêcher, étaient armés sous le titre « Long cours » ou « Cabotage » mais les goélettes en campagne de pêche l’étaient en « Grande Pêche » (GP) ou « Islande ». Techniquement, il aurait été impossible d’analyser les rôles de tous les bâtiments armés au « Long cours » ou au « Cabotage » pour savoir s’ils avaient chargé de la morue dans leur cale…
Un exemple significatif : la goélette « Marie-Magdeleine », armée « Islande » à Paimpol le 30 janvier 1908, de retour le 24 août, repartie le surlendemain de Paimpol pour livrer sa seconde pêche à Fécamp, avait été alors armée au « Cabotage » avant de sombrer corps et biens fin août 1908. Son équipage restreint (8 hommes) n’apparaît pas dans cette liste.
Une recherche collective
Ce mémorial, qui rappelle un tribut surhumain de souffrances et de deuils, n’aurait jamais vu le jour sans les investigations patientes et rigoureuses de ceux qui depuis Jean Kerlévéo ont exploré ce passé. Leurs études ont été utiles et ont enrichi la connaissance de ce patrimoine que nous avons reçu pour le transmettre aux générations nouvelles.
Que soient remerciés Nelly Souquet, Roger Courland, Pierre Floury, Michel Le Deut, Yves Le Pannerer, André Louaver, Théo Pennanros, Yves de Sagazan, Henri Volf ainsi que les membres de l’association « Pierre Loti à Paimpol » avec leur président, Serge Le Quéau qui nous ont encouragés.
Tous ont apporté leurs belles contributions à l’histoire du pays de Paimpol : c’était au temps d’Islande.
Emilie Desouche et Pierre Kerlévéo
La statue « Veuves d’Islandais » sur le site de Lann Vras et le musée « Mémoires d’Islande » à Ploubazlanec Sont également dédiés à la mémoire de ces « bagnards » de la mer comme les appelaient le Père Yvon.