« Veuves d’Islandais »

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Histoire de la statue de Lann Vras

Qui était René Dalibard? par Pierre Guérin

Retranscription intégrale de l’article paru dans Ouest France le 29 septembre 2018 

C’est à la salle Feutren que se tiendra, samedi 13 octobre, la conférence de Pierre Guérin sur René Dalibard. « Je suis parti du livre de François Chappée, à la recherche de ses sources. Certaines comme Kerlévéo et Grossetête sont des références connues. Mais René Dalibard était un parfait inconnu. J’ai commencé une véritable enquête de détective pour retrouver sa trace », explique Pierre Guérin en préambule.

C’est de cette enquête, véritable épopée, pleine de rebondissements qu’il viendra parler lors de la conférence. Avec la découverte de la thèse de René Dalibart en 1907 sur « la pêche en Islande telle que la pratiquent les Paimpolais. »

L’enquête a trouvé sa conclusion et Pierre Guérin en dévoilera le texte au public. « Une thèse intéressante qui élargie encore la vision sur l’histoire, ses sources recouvrant tout l’éventail social. Un panel extrêmement large qui crédibilise ses sources. Et aussi un texte très fluide, très clair et très simple à lire. »

Pierre Guérin en compagnie des membres de l’association Pierre Loti (Photo Ouest-France)

Voir l’article paru le 10 octobre dans la Presse d’Armor

Du bloc de granit de Saint-Samson au dévoilement à Lann Vras

Une rencontre peu probable mais pourtant: L’évêque et le syndicaliste

À la fin de l’année 1999, une rencontre décisive a lieu entre deux passionnés de l’oeuvre de Pierre Loti : Mgr Jean Kerlévéo, évêque originaire de Paimpol, et Serge Le Quéau, militant syndical. Une amitié improbable naît entre le prêtre blanc et le syndicaliste rouge.
Le premier fait part au second de son plus ardent souhait de faire réaliser la statue et de l’installer à Paimpol, face à la mer. « Mgr Jean Kerlévéo est décédé quelques mois après, en janvier 2000, mais je lui avais fait la promesse de réaliser ce voeu. » Les années passent, Serge Le Quéau n’oublie pas. En 2010, il crée l’Association Pierre Loti à Paimpol dont l’objectif premier est de recueillir des fonds pour financer les travaux. « Les 60 000 € nécessaires ont été rapidement réunis par souscription. »

Un comité d’experts a choisi les granits suivants:

  • La statue : un granit de Saint-Samson (près de Pleumeur- Bodou) au grain fin, très dur, de couleur beige rosé qui fonce lorsqu’il est mouillé. Pierre dense, elle permet la réalisation d’un monument imposant et la finesse du grain autorise la taille si caractéristique des plissés des robes des deux personnages féminins de Francis Renaud. Elle présente une bonne résistance à l’usure et assure la résistance aux lichens, aux mousses et aux embruns. Sa couleur absorbe tous les changements de lumière. La base de la statue serait d’une épaisseur de 30 cm.
  • Le socle : un granit de qualité différente: granit rose de Ploumanarc’h. Il peut garder l’aspect brut de rochers.
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Le sculpteur Charly Sallé, sculpteur ornemaniste à la base et meilleur ouvrier de France en 1990 en tant que sculpteur praticien, a choisi dans la carrière de Saint-Samson (Pleumeur-Bodou) un impressionnant bloc de granit de plus de dix tonnes.

J’ai d’abord reproduit une maquette en plâtre grandeur nature d’après la maquette réalisée en 1932 par Francis Renaud qui a représenté 600 heures de travail. Puis je me suis attaqué au bloc de granit à coup de burin et de meuleuse pneumatique. Certes, il faut manipuler des outils, porter un masque pour la poussière. Ca se fait, c’est pas facile mais ça se fait. Il y a dans mon atelier une multitude d’outils, chacun ayant une fonction précise Et contrairement à ce que l’on pense, il faut toujours tourner l’outils vers soi pour reconnaître le pas.
C’est un travail de titan, une oeuvre de longue haleine de plus de 1000 heures, débutée à l’été 2014, 40 ans après le décès de Francis Renaud. C’est un travail de précision, je me dois de respecter strictement les cotes de la création originale même si ça n’exclut pas une petite touche personnelle. J’ai ajouté une larme au coin de l’oeil de Gaud, et rendu le regard de Moan plus expressif. Mais je sais que, de là où il est aujourd’hui, Francis Renaud ne m’en voudra pas…

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Le 21 avril 2017, Après xx heures de travail, la statue est prête à effectuer son voyage vers son lieu final de villégiature 

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La voici arrivée. Après une minutieuse installation, elle est enfin prête pour inauguration le 15 juillet 2017.

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La statue de Lann Vras

Dans mon idée, le monument ne porterait qu’une seule inscription: à Pierre Loti ». J’espère qu’il se réalisera un jour, seulement qui s’en occupera? Je n’en sais rien, disait Francis Renaud à Yves Le Diberder lors d’une interview pour « La Bretagne ».

L’Association Pierre Loti à Paimpol créée en 2010 releva le défit et réalisa son vœu et celui de Monseigneur Jean Kerlévéo le 15 juillet 2017 en érigeant la statue « Veuves d’Islandais » financée par souscription et réalisée par Charly Sallé à partir du modèle de Francis Renaud.

Elle est visible sur le site de Lann Vras (Grand Ajonc) dans la commune de Ploubazlanec (Plaeraneg).
Elle domine Loguivy-de-la-Mer (Logivi-Plaeraneg) et le bras de mer entre l’archipel de Bréhat (Enezeg Briad) et la Pointe de l’Arcouest (Beg an Arc’houest).

La statue de Charly Sallé, en granit de Saint-Samson pour la statue et en granit de Ploumanac’h pour le socle, est haute de 2,50 mètres, de 1,70 mètres de large et d’un poids d’environ 6 tonnes. Elle a été réalisée à partir de la maquette de Francis Renaud (1887-1973) en terre cuite patinée exécutée vers 1932. Cette œuvre de Francis Renaud a reçu la médaille d’or au salon des artistes français à Paris

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il existe une réplique à l’échelle 1 de cette statue en plâtre, qui sera exposée dans le hall du conseil départemental puis dans différents établissements publics du département des Côtes d’Armor.

La genèse de la statue

La réalisation de la statue est-elle une création ou restauration?

Ce projet de réalisation de la statue que Francis Renaud a créée en hommage à Loti, est à la fois création et restauration d’un patrimoine artistique. D’où une ambiguïté qui rend complexe son orientation et sa désignation. Un artiste sculpteur va réaliser le monument à l’identique et ranimer la mémoire d’un autre artiste costarmoricain de talent.

Au regard de notre association qui est l’initiatrice du projet, il s’agit bien de réveiller un patrimoine existant, puis oublié, qui permettrait aux paimpolais de se réapproprier un morceau de leur histoire afin de la transmettre et, de pérenniser l’image de l’écrivain voyageur, objectif commun aux deux associations.

Patrimoine historique, économique, humain.

Rappel évident de la période de la Grande Pêche, la statue est un hommage aux femmes qui ont payé elles aussi, un lourd tribut à la mer qui les aidait à vivre. Elle est l’hommage à Loti, à qui Paimpol doit une grande partie de sa notoriété et l’âme des lieux. Représentation symbolique, perpétuant pour la jeune génération paimpolaise un épisode de l’histoire de leur pays que leurs grands-parents et parents ont eu tendance à vouloir occulter, tant le souvenir en était douloureux. Représentation symbolique aussi pour les visiteurs de passage qui, lorsqu’ils viennent à Paimpol, s’attendent à trouver quelque témoignage de cette époque.

Patrimoine artistique auquel est rattaché le nom de grandes figures des Côtes d’Armor.

Hommage à Francis Renaud, sculpteur briochin de grand talent et de renommée nationale, mais aussi à Armand Dayot enfant de Paimpol qui, devenu Inspecteur Général des Beaux-Arts, a soutenu l’artiste, à Monseigneur Jean Kerleveo, qui aurait aimé voir le projet réalisé et avait confié ce souhait peu de temps avant son décès à son ami Serge Le Quéau.

L’œuvre de Francis Renaud a reçu en 1932 la médaille d’or au Salon des Artistes Français à Paris, mais il n’a pas eu de commande et la statue n’a pas été réalisée avant son décès. Elle est l’émouvante représentation de l’art si particulier de son auteur et l’évocation de la souffrance des femmes de marins perdus en mer, lors de la grande épopée de la pêche à Islande qui a marqué l’histoire de Paimpol dans la deuxième moitié du 19ème siècle et jusqu’à l’entre-deux guerres.

Maquette de Francis Renaud

 

Ce couple de femmes qui se tiennent côte à côte, l’une en coiffe, debout, droite, le visage impassible et dur, les yeux perdus vers le lointain, l’autre la tête inclinée et en partie cachée par sa cape de veuve serait un vibrant hommage à l’écrivain qui a contribué à la notoriété de Paimpol.
Francis Renaud a choisi cette représentation de veuves d’Islandais, en pensant aux deux personnages féminins du roman de Pierre Loti : la grand-mère Moan et Gaud car, disait-il, «elles répondaient le mieux à cette courte mais impitoyable phrase de son roman Pêcheur d’Islande : Elle (Gaud) s’était mise à l’attendre… Il ne revint jamais ».

L’Aventure de la Grande Pêche à l’Islande par Séverine Breton (FR3 Bretagne)

« Contre un panneau du fond, une sainte vierge était fixée (…), elle était un peu ancienne (…) et peinte avec un art naïf (…) mais les personnages en faïence se conservent beaucoup plus longtemps que les vrais hommes », écrit Pierre Loti dans « Pêcheur d’Islande ». Les personnages en faïence se conservent plus longtemps que les vrais hommes, en quelques mots, l’écrivain dit la rudesse du métier et la fragilité de la vie de ces marins qui partaient pêcher la morue dans les eaux glacées et tourmentées de Terre-Neuve ou d’Islande.

Cinq siècles de Grande Pêche à Terre Neuve et en Islande

Les bancs de morue de Terre Neuve ont été découverts à la fin du 15ème siècle. On dit qu’alors, les morues étaient si nombreuses qu’on pouvait les apercevoir, miroitant dans l’eau. La rumeur se répand très vite, de port en port. Paimpol, Binic, Saint-Malo, Fécamp, Bordeaux… en Bretagne, en Normandie, des bateaux sont armés pour partir chercher ce poisson que l’on appelle, Or Blanc.
Sur les voiliers, les goélettes, il faut alors des jours et des jours de mer pour atteindre le grand nord. Les marins partaient à la mi-février, pour ne rentrer qu’à l’automne, ils ne voyaient jamais les feuilles des arbres. Au 16ème siècle, 10 000 hommes embarquaient chaque hiver.

La pêche dans la brume, le froid et le vent

 Mais si la morue chérit les eaux à deux degrés, les marins eux ne l’aime guère à cette température. Sur le pont, les températures étaient rarement positives, il fallait pourtant pêcher… à la ligne, à bord des goélettes islandaises. Les hommes tiraient leur place au sort, mais tous, quoi qu’il arrive, étaient face au vent, à la pluie, à la neige. A Terre Neuve, les hommes quittaient le voilier pour aller pêcher sur des doris, une sorte de petite barque. Ils partaient à deux pour la journée, espérant ne pas se perdre dans les brumes et les vagues.

 « Quand la morue donne, il faut la prendre ! « 

Et de retour à bord, les hommes nettoyaient la morue : les piqueurs la vidaient, les décolleurs lui coupaient la tête et les trancheurs la fendaient en deux, lui enlevaient l’arête dorsale et l’envoyaient en cale ou le saleur, salait et empilait.
Les journées de travail duraient souvent 16 ou 18h, mais à Terre Neuve, il n’y avait qu’une loi : « Quand la morue donne, il faut la prendre ! »« Si tu embarques fainéant, tu débarqueras courageux » répète souvent Lionel Martin, un malouin embarqué à 15 ans. Les mousses étaient les chiens du bord ajoute Hyacinthe Chapron. C’est eux qui amenaient le repas à la bordée, puis qui lavaient les morues. Au travail, au froid, s’ajoutaient souvent la brume, les tempêtes, les icebergs. 120 goélettes et 2000 marins du canton de Paimpol auraient péri entre 1852 et 1935 lors de la pêche en Islande.

 La grande pêche nourrit l’imaginaire des hommes

Pendant cinq siècles, la morue a nourri le ventre des hommes mais aussi leur imaginaire. Des peintres comme Marin Marie, des compositeurs comme Théodore Botrel ont immortalisé les goélettes dans la tourmente, la Paimpolaise qui attend son marin au pays breton. En 1886, le roman de Pierre Loti, « Pêcheur d’Islande » raconte la tragique histoire d’amour entre Gaud, jeune fille de Paimpol et le Grand Yann. Les mots de l’écrivain touchent les lecteurs et font connaître le métier bien au-delà des côtes bretonnes. Pierre Loti en profite pourlancer une souscription pour venir en aide aux veuves d’islandais.

 La fin de la Grande Pêche en 1992

Au vingtième siècle, les chalutiers, les bateaux usine remplacent les trois-mâts. Le froid est toujours le même, mais les marins pêchent autant de poissons en quelques jours que les ancêtres en capturaient en de longs mois. Les pêcheurs ne sont plus les seuls à souffrir. La morue est menacée de disparition. En 1992, le Canada impose un moratoire et met fin à cinq siècles de Grande Pêche.

 

 

Paimpol : la pêche en Islande de 1852 à 1935

Pendant cinq siècles, des marins bretons et normands sont partis pêcher la morue au large de Terre Neuve et de l’Islande. Si les eaux poissonneuses les attiraient, il y avait aussi une nécessité économique, les petites fermes bretonnes étaient souvent insuffisantes pour faire vivre les familles. Alors, ils quittaient le port au mois de février pour ne revenir qu’à l’automne, on dit qu’ils ne voyaient jamais les feuilles des arbres…

Paimpol: la pêche en Islande de 1852 à 1935: 
Reportage à Ploubazlanec et Plouézec (22) de Séverine Breton, Thierry Bouilly, Vincent Surrault et Tanguy Descamps – Interviews : Bernard Le Rousseau, président Musée Mémoire d’Islande – Emilie Desouche, statisticienne Université Catholique de Lille.

La vie des femmes des marins de la Grande Pêche

Elles restaient à terre, huit mois toutes seules, après avoir suivi longtemps de la pointe de la Trinité le départ des goélettes qui emmenaient leurs hommes vers les bancs de Terre Neuve et d’Islande. Ces femmes de marin, avaient pris l’habitude de s’habiller de noir en permanence, en deuil d’un père, d’un frère, d’un mari ou d’un fils…

La vie des femmes des marins de la Grande Pêche
Reportage à Ploubazlanec et Plouézec (22) de Séverine Breton, Thierry Bouilly, Vincent Surrault et Tanguy Descamps – Interviews : Nelly Souquet, secrétaire Association des Amis de Pierre Loti – Alain-Michel Blanc, réalisateur du documentaire « Le Père Yvon, aumonier des Terre Neuvas ».

 Saint-Malo : la pêche sur les bancs de Terre Neuve

A Saint-Malo la Grande pêche s’est poursuivie jusque dans les années 1990. Les goélettes ont laissé place aux chalutiers et aux bateaux-usines, mais les conditions sont restées les mêmes… le froid, la glace, le vent et les brouillards…

Saint-Malo : la pêche sur les bancs de Terre Neuve
Reportage à Saint-Malo (35) de Séverine Breton, Thierry Bouilly, Vincent Surrault et Tanguy Descamps – Interviews : Hyacinthe Chapron, président Mémoire et Patrimoine des Terre Neuvas – Georges Goron, chef de choeur « Terre et mer ».

 La Grande Pêche à travers les arts

Si la morue a longtemps nourri les hommes, elle a aussi suscité leur imaginaire. Des peintres comme Marin Marie, des auteurs-compositeurs comme Théodore Botrel ont immortalisé les goélettes dans la tourmente ou les doris sur les bancs de Terre Neuve. Celui qui a le mieux décrit la vie de ces « Pêcheurs d’Islande », c’est l’écrivain Pierre Loti…

La Grande Pêche à travers les arts
Reportage de Séverine Breton, Thierry Bouilly, Vincent Surrault et Tanguy Descamps – Interviews : Pierre Kerlévéo, président Association des Amis de Pierre Loti – Pascal Bresson, scénariste « Entre Terre et mer ».

 

Les marins d’Islande disparus en mer (1852-1935)

Pourquoi cette recherche?

Dans la préface de la deuxième réédition de « Paimpol au temps d’Islande » (Le Chasse-Marée / Armen, 1998), Jacques Guéguen écrit : « Jean Kerlévéo est tout à fait conscient de la nécessité de vérifier aujourd’hui certains points, comme le nombre des disparus à Islande par comptage systématique au lieu de l’estimation dont il a été obligé de se contenter à l’époque, aboutissant ainsi à des conclusions excessives. A d’autres donc de poursuivre, bien modestement, son œuvre, de continuer ses travaux, de les affiner et de les élargir ».

Quel nombre ?

Jean Kerlévéo avance 2000 hommes du pays de Paimpol péris en mer d’Islande entre 1852 et 1935. Il ajoute : « Presque la population de la ville de Paimpol » (« Paimpol au temps d’Islande »,  tome II, page 51).

Dans « L’épopée Islandaise », le regretté François Chappé (Editions de l’Albaron, 1990) insiste sur le taux élevé de mortalité, citant Jacques Dubois (« Le Jardinier des mers lointaines », Picollec, Paris, 1980) qui indique 3000 morts.

Christian Pfister-Langanay, professeur d’histoire moderne, a évoqué 1635 décès voire 1800 pour l’ensemble des ports de Binic, Dahouët, Erquy, Lannion, Paimpol, Portrieux et Tréguier (« La pêche en Islande », Editions Jean-Paul Gisserot, 2013). L’objectif de ces nouvelles recherches est de tenter d’approcher un chiffre plus précis.

Quelles sources ?

Il a semblé passionnant d’effectuer un recensement qui pourrait intéresser les descendants de ces héros Paimpolais. Les outils qui ont permis de les retrouver sont les tables de successions et absences : il s’agit de registres qui consignent, par ordre alphabétique, tous les décès du bureau d’enregistrement de Paimpol. Y sont inscrites toutes les personnes même celles qui sont mortes en bas âge ou ont vécu six minutes! Si elles laissaient quelques biens, même modestes, leur nature et l’identité des ayants droit sont stipulées avec la date et le numéro de la déclaration de succession qui se trouve dans un autre registre.

Ces tables classées en série 3Q ont été numérisées et sont accessibles sur le site internet des Archives départementales des Côtes-d’Armor. Elles mentionnent les nom et prénoms du défunt, sa profession, son âge, son adresse, la date de son décès, les nom et prénoms du conjoint.

Nos investigations, qui ont nécessité de nombreuses heures de travail, ont abouti à relever une base de 5170 noms de marins en activité, exerçant toutes les professions en lien avec la mer (mousse, cuisinier, maître au cabotage, capitaine…), domiciliés à

  • Bréhat
  • Kerfot
  • Kérity
  • Paimpol
  • Ploubazlanec
  • Plouézec
  • Plounez
  • Plourivo
  • Yvias

et décédés hors de ces communes entre 1852 et 1935.

La liste définitive résulte de la consultation de plusieurs autres sources :

  • L’état civil dans les différentes mairies. Leurs registres reproduisent la transcription des actes de décès ou du jugement du Tribunal Civil de première instance de Saint-Brieuc. Ces documents précieux et émouvants relatent les circonstances de la mort ou du naufrage.
  • Les dossiers de pension des inscrits maritimes du Quartier de Paimpol
  • Les registres matricules des marins
  • Les matricules des bâtiments du commerce
  • Les rôles d’équipage des goélettes

Merci aux collaborateurs de l’ENIM de Paimpol, en particulier à Madame Michèle Picard, responsable du groupe Archives, et du Service Historique de la Défense à Brest.

Quelle méthode ?

Il nous a fallu définir des critères pour établir cette liste. Nous exprimons notre immense gratitude aux historiens compétents quI nous ont aidés dans cette réflexion, Messieurs Jacques Guéguen et Claude Forrer, Capitaine au long cours. Ce dernier a proposé une définition des « Pertes à Islande » que nous avons adoptée. Avec www.marinsdislande.fr, nous faisons donc mémoire de toutes les disparitions survenues « pendant la campagne de Grande Pêche en Islande et dans les trajets aller et retour du port d’armement ou du port de départ de métropole à l’aller et au retour au même port s’il était le premier port français ou au premier port touché qu’il soit à l’ordre ou au déchargement. Les autres traversées y compris celles qui, destinées à l’approvisionnement du sel, considérées comme cabotage, ne relèvent pas directement de la « Pêche à Islande » (Pertes et accidents, le cas des pêcheurs de la baie de Saint-Brieuc,  colloque à Fécamp, 18 mai 2012).

Plus clairement, les marins disparus des chasseurs qui transportent la première pêche et ceux des goélettes seulement lorsqu’elles livrent la seconde ne figurent pas sur ce site. Les chasseurs, dont l’équipage n’avait pas le droit de pêcher, étaient armés sous le titre « Long cours » ou « Cabotage » mais les goélettes en campagne de pêche l’étaient en « Grande Pêche » (GP) ou « Islande ». Techniquement, il aurait été impossible d’analyser les rôles de tous les bâtiments armés au « Long cours » ou au « Cabotage » pour savoir s’ils avaient chargé de la morue dans leur cale…

Un exemple significatif : la goélette « Marie-Magdeleine », armée « Islande » à Paimpol le 30 janvier 1908, de retour le 24 août, repartie le surlendemain de Paimpol pour livrer sa seconde pêche à Fécamp, avait été alors armée au « Cabotage » avant de sombrer corps et biens fin août 1908. Son équipage restreint (8 hommes) n’apparaît pas dans cette liste.

Une recherche collective

Ce mémorial, qui rappelle un tribut surhumain de souffrances et de deuils, n’aurait jamais vu le jour sans les investigations patientes et rigoureuses de ceux qui depuis Jean Kerlévéo ont exploré ce passé. Leurs études ont été utiles et ont enrichi la connaissance de ce patrimoine que nous avons reçu pour le transmettre aux générations nouvelles.

Que soient remerciés Nelly Souquet, Roger Courland, Pierre Floury, Michel Le Deut, Yves Le Pannerer, André Louaver, Théo Pennanros, Yves de Sagazan, Henri Volf ainsi que les membres de l’association « Pierre Loti à Paimpol » avec leur président, Serge Le Quéau qui nous ont encouragés.

Tous ont apporté leurs belles contributions à l’histoire du pays de Paimpol : c’était au temps d’Islande.

Emilie Desouche et Pierre Kerlévéo

La statue « Veuves d’Islandais » sur le site de Lann Vras et le musée « Mémoires d’Islande » à Ploubazlanec Sont également dédiés à la mémoire de ces « bagnards » de la mer comme les appelaient le Père Yvon.