Les Bretagnes de Pierre Loti: colloque à Paimpol les 9 et 10 juin 2012

Pierre Loti et Paimpol : un ancrage renouvelé (Loïc Thomas)

C’est en juillet 1993 qu’un colloque ayant pour thème Pierre Loti et son œuvre fut organisé à Paimpol à l’initiative de l’universitaire paimpolais trop tôt disparu, François Chappé.

Le pari était audacieux : l’écrivain intéressait-il encore ? Son œuvre, oubliée, avait-elle encore un lectorat ? Était-on assuré de réunir dans la cité des Islandais suffisamment de chercheurs pour exposer leurs travaux érudits ?

Ces objections furent vite balayées par François Chappé, porté à la présidence de l’Association Pierre Loti à Paimpol créée à cette occasion. Il infusa au groupe son enthousiasme et son énergie : Pierre Loti ne se résumait pas au seul Pêcheur d’Islande et la manifestation culturelle envisagée le montrerait. On allait redécouvrir une œuvre abondante, riche de multiples facettes. On ne se cantonnerait pas à l’évocation de l’écrivain et de ses liens particuliers avec le pays de Paimpol qu’il a rendu célèbre.

Mais sait-on comment ces liens se sont noués ?

Le formidable succès de librairie que connut Pêcheur d’Islande, publié en 1886, permit d’asseoir la renommée de l’écrivain dans l’édition française, mais ce n’est pas seulement cette publication qui fit connaître Pierre Loti dans le pays du Goëlo. A cette époque, il n’est connu personnellement que de quelques autochtones qui ont croisé ce marin, peut-être à Loguivy où il est venu comme bordassien en 1868, à Kergrist en compagnie de Pierre Le Cor en 1878, à Porz-Even chez les Floury en 1882, à Paimpol en 1884… mais on ne le connaît pas comme écrivain : l’auteur de Aziyadé (1879), Le mariage de Loti (1880), Le roman d’un spahi (1881), Fleurs d’ennui (1882) est ici inconnu.

En 1886, quand paraît Pêcheur d’Islande, l’officier-écrivain ne vient pas à Paimpol. Le succès que rencontre cet ouvrage n’a pas d’impact important dans la cité. Le Journal de Paimpol en a publié quelques pages (mai 1886) mais les préoccupations des Paimpolais sont ailleurs. Elles les tirent vers le travail quotidien et, pour quelques-uns, vers la survie, tant gagner son pain quotidien constitue l’essentiel d’une rude existence qui est ponctuée annuellement de drames épouvantables : la perte d’un parent, d’un ami, causée par le naufrage d’une goélette en Islande.

En 1887, précisément, un drame secoue la ville : on déplore la perte, corps et bien, de la Petite Jeanne. Une fois de plus la ville est endeuillée et l’on envisage, selon l’habitude, d’organiser une manifestation de bienfaisance (une « fête » disait-on). C’est au printemps de cette année 1887 qu’un capitaine de la Territoriale, originaire de Plouëzec, alerte Loti qui, fort de sa notoriété, demande au directeur du Figaro de lancer une souscription. Celle- ci va drainer des sommes importantes, jamais distribuées comme elles le seront le 29 août 1887, en présence de Loti.

Cet homme un peu fluet, d’une élégance remarquée, est accueilli par les personnalités locales qui lui ont préparé une fête – mais il l’a refusée. Une foule de femmes inquiètes se presse autour des bureaux de la Marine. Elles s’écartent quand il se présente et l’entourent en silence. Elles sont nombreuses à savoir qu’il est l’homme providentiel ; il apporte de l’argent, beaucoup d’argent. Il est dès lors perçu comme un être charitable, bienveillant, sensible aux difficultés des miséreux, pétri de compassion pour ces hommes et ces femmes en grande difficulté. Il est salué, respecté, honoré, vénéré pour être venu soulager les misères des infortunés que sont les veuves et les orphelins des pêcheurs péris en mer…

Le nom de Loti s’inscrit ainsi dans les cœurs avant de pénétrer les esprits par ses œuvres littéraires. Surgi dans la sphère de la charité, il s’ancre dans les mémoires et le roman Pêcheur d’Islande renforce le lien entre l’écrivain et Paimpol.

Le nom de Loti résonne à Paimpol, à Ploubazlanec et encore aux alentours. Il a ici un quai, là une rue ou une place ou une école… mais seul le nom est évocateur. Depuis longtemps les textes de Loti ont perdu de leur attrait. Son style, ses thèmes, son écriture captivent de moins en moins de lecteurs. L’auteur Pierre Loti et son œuvre sombrent peu à peu dans l’anonymat. Seuls quelques lettrés en parlent encore… et il faut attendre 1983 et aller à New-York pour assister à un premier colloque sur Loti. Cependant, l’œuvre et la personne de Loti étaient encore à explorer et c’est ce qu’a pensé un enfant du pays : François Chappé.

François Chappé est né ici, a passé toute sa jeunesse ici et il connaît bien l’histoire de sa ville et de ses pêcheurs Islandais. L’idée d’une manifestation culturelle autour du nom et de l’œuvre de Loti, dans sa ville natale, chemine dans sa tête. Cette fête aura lieu en 1993.

Méthodique dans sa réflexion, nourrie de larges vues, il prévoit une stricte organisation qui s’appuie sur trois cercles : d’abord celui de ses nombreux amis, soudés dans l’amitié entretenue dans les fêtes surtout estivales ; le deuxième cercle se forme à Paimpol où il recrute non plus des amis mais des collaborateurs qui viendront l’épauler dans la logistique (entre autres : le secrétariat, les finances…). Mme Ballini et moi-même sommes dans ce deuxième cercle et nous connaîtrons alors une personnalité d’une grande rigueur – avec une place pour la fantaisie – et d’une parfaite exigence intellectuelle, repoussant les faux-semblants imprégnés de nostalgie et autres « botrelleries ». Le troisième cercle se composera de personnalités de divers horizons: Max Querrien, Mgr Kerlévéo, Erik Orsenna, l’Amiral François Bellec, Alain Quella-Villéger et une cohorte d’universitaires venus des quatre coins du monde. Cependant cet aréopage, qui dissipait nos craintes initiales, n’annonçait-il pas un rassemblement confiné aux lecteurs avertis ?

Certes, on allait jeter sur l’œuvre de Loti, sur son écriture, ses engagements – plus que sur l’homme privé – un nouveau regard. Le thème retenu était Loti en son temps, non à Paimpol mais dans son temps littéraire (Bruno Vercier : Loti, écrivain en son temps), dans les champs littéraires (Pierre Bazantay : Ramuntcho)

Mais il n’y avait pas que le colloque.

La nature joyeuse, généreuse et expansive du président, son tempérament festif l’avaient conduit à greffer, d’entrée, sur ce colloque, un concert, des expositions, une comédie musicale, des rencontres… lesquels drainèrent un large public. Cette fête de l’esprit fut un succès et elle en annonçait d’autres, avec d’autres acteurs culturels.

La manifestation de juin 2012, à l’initiative de l’Association Pierre Loti à Paimpol, renforce le lien mémoriel qui unit Loti à Paimpol. Le président Serge Le Quéau et son équipe ont repris le flambeau. Vous perpétuez le nom de Loti dans la cité et, pour cette initiative, on ne peut que former le vœu que la fête que nous ouvrons soit la fête de l’esprit mais aussi des cœurs et nous constatons que, d’ores et déjà, Paimpol est, selon une expression de François Chappé, « une fois encore, le lieu de la fête intelligente ». Soyez-en remerciés.

Cliquer ici pour voir la page de couverture et le sommaire des actes du colloque

Ce recueil des discours des intervenants au colloque est disponible au prix de 15€